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sensdumonde
12 juin 2019

ANTHROPOLOGIE DE L'ISLAM, LA NOTION DE MARTYR

MARTYR DANS LE CORAN LAURENT ADICEAM DIXIT SENS DU MONDE

 MARTYR DANS L'ISLAM

Sommairement, à savoir...

La figure musulmane du Martyr (shahîd, pluriel : Shuhadâ, signifie au sens général d’être témoin et de mourir pour avoir porté son témoignage de foi) est aujourd'hui amplement discutée. Déjà au 7ème siècle dues aux circonstances de l'Hégire, on a une notion de Martyr des grandes conquêtes islamiques par des cavaliers conquérants arabo-musulmans. Ces derniers, portés par une foi belliqueuse, prêchent la conversion ou la soumission des infidèles puis s'emparent, sous le règne des quatre premiers califes (successeurs du Prophète), du reste de la péninsule arabique, de l'Égypte, d'une partie de la Libye, de tout le Moyen-Orient et de l'Asie mineure aux confins de l'Inde. Un grand bond après, dans les années 80, on consigne des guerres entre l'Irak et l'Iran, le conflit israélo-palestinien, les attentats du 11 septembre 2001, ... Et toujours les affrontements en Irak, en Syrie, au nord du Liban (2007, 168 militaires libanais morts lors des affrontements avec les combattants de Fath al-Islâm, dans le camp de réfugiés palestiniens de Nahr al-Bared) et sans compter les nombreuses factions entre musulmans, puis les intifadas, entre autres, qui ont mis en avant cette figure emblématique du Martyr (on peut y voir la notion d'istish'hâdi : candidat volontaire au martyr) car elle émerge, évidemment, de ces interminables conflits interreligieux en grande partie. Ce profil du Martyr a fait, d'une certaine manière, son petit djihad*. Notons que ces actes de martyrisme volontaire de militants islamistes ont ponctué les conflits dans le monde arabo-musulman par divers courants religieux ou dits religieux. Mais le musulman doit-il faire la guerre, au sacrifice de soi par sa foi pour être Martyr ?

*Jusqu’à la fin du XIXe siècle, la majorité des exégètes a considéré que le «grand djihad», donc le combat/ lutte intérieure (vu en cours) contre ses propres fautes et ses propres négligences religieuses, l’emportait sur le «petit djihad», la confrontation militaire avec les ennemis de l’islam/ défendre son territoire. De ce fait, la question de la signification du martyre sur le champ de bataille avait peu d’importance. Elle ne se pose de nouveau qu’avec les mouvements de ré-islamisation de la seconde moitié du XXe siècle.

David Cook, professeur émérite sur l'islam, fait remarquer qu'au début des années 80 que les attaques-suicides firent leur apparition pour la première fois dans le monde musulman arabophone, on les considéra comme l'arme des pauvres. Utiliser des personnes comme des bombes intelligentes, capables de s’adapter aux objectifs pour produire le maximum de victimes possibles, fut considéré, dans un premier temps, du point de vue tactique par le Hezbollah, puis stratégique par des groupes salafistes-djihadistes. Ces pratiques sont appelées les « opérations de martyre ».

Revenons un peu en arrière, précisément en Iran, puisque que l'objet de mes cours est sur l’Anthropologie de l'islam chiite, entre autres. Après les invasions qui ont signé la fin de l'Empire Sassanide, les Iraniens ont intégré l'Islam, mais en y adjoignant les figures du panthéon zorastrien, religion d'origine. Pourquoi ? Car le petit-fils de Mahomet se rapproche étrangement de Siyâvash, le prince mythique de ce panthéon, qui choisit de se sacrifier pour l’avenir et qui sera finalement décapité dans le désert. Pour les chiites, si Mahomet est le prophète, leur vrai héros et Martyr est Hussein. C'est lui qui accompagne le croyant chiite du berceau à la tombe, qui le relie à Dieu et à son passé zoroastrien. Hussein est le fils d'Ali et de Fatima (la fille préférée de Mahomet). Ali, troisième calife de l'islam, fut assassiné à la suite de querelles de succession. Le conflit ne s'éteignit pas pour autant : Hussein prit les armes contre le pouvoir omeyyade. Le Xe jour du mois de muharram (octobre) en l'an 690, il fut vaincu à Kerbala (Irak) : mort de soif, décapité sous le calife Yazid par Hurr, commandant des troupes, humilié devant les siens. C'est la naissance du chiisme. Depuis, tous les ans, les chiites célèbrent le sacrifice de Hussein en des processions où la flagellation et le sang tiennent la première place, poussant un cri unique, « Dieu, Hussein est mort ! », c'est l'Achoura. Hussein représente donc des symboles : la douleur, la perte, la foi et l'attente enthousiaste du Mahdi (le « guidé »).

Selon David Cook, professeur émérite sur l'islam, pour les chiites, le martyre est un élément d’importance première dans le système de croyances. Le chiisme rappelle à la mémoire l’histoire tragique des descendants de Muhammad, dont bon nombre ont été tués par des gouvernements dominés par les sunnites, ou influencés par eux. Selon la théologie politique chiite, ces descendants auraient dû exercer le gouvernement légitime après Muhammad. Le groupe chiite majoritaire en particulier, les duodécimains, croit en une série de douze imams qui ont vécu après la mort de Muhammad : le douzième, pense-t-il, est entré en occultation (c’est-à-dire qu’il a disparu de la vue des hommes) jusqu’au jour de sa future réapparition comme figure messianique.

Notons que les Iraniens incarnent Husayn/Hoseyn tandis que les Irakiens envahisseurs incarnent Yazîd, l’adversaire de Husayn et le personnage le plus détesté dans l’Islam chiite.

Et pour nous « guider » dans notre examen éclairé sur la notion de Martyr, sujet choisi, nous avons l'honneur d'avoir Mohamed Bajrafil, théologien et Imam sunnite d'Ivry sur Seine. Avant cela, je vais exposer le terme d'Imam dans le droit et dans la religion musulmane.

L'imam signifie en arabe « celui qui est placé devant », c'est à dire celui qui conduit la prière rituelle. Nous avons vu que l'islam sunnite ne connaît pas de clergé au sens classique du terme. Le fonction de l'imam est conférée à un homme dont les compétences en matière religieuse sont établies. Il peut lui être reconnu le titre de mufti par son expérience et sa communauté, c'est à dire celui qui est en mesure de donner une interprétation du dogme, au travers de ses différentes sources.

La prière quotidienne peut-être pratiquée sans le concours de l'imam, contrairement à la prière collective du vendredi.

Les imams guident la prière, ils ne prient pas pour les fidèles, mais les éclairent dans leur foi. L'imam n'a pas, à l’inverse du prêtre catholique ou orthodoxe la faculté de pardonner au nom de Dieu. Chez les chiites, peu présents en France, l'Imam acquiert une dimension intermédiaire entre Dieu et l'homme, ce qui lui confère une autorité remarquable. En Perse, à partir de 1501, le chiisme, celui des duodécimains (nous l'avons déjà évoqué plus haut), dit de Jaafar al-Sadiq, est devenu religion d'état et au XIXe siècle, les Ayatollahs (signes de Dieu) prirent la direction religieuse, politique et doctrinale indépendamment de toute hiérarchie. A savoir qu'il y a des branches minoritaires du sunnisme, les plus connues sont les Alawites, les Ismaéliens, les Druzes, les Zaydites,...

MOHAMED BAJRAFIL

Interview avec l'Imam d'Ivry sur Seine, Mohamed Bajrafil:

Nous associons souvent le mot « Martyr » à Martyr de guerre, c'est à dire ceux qui sont tombés pour la nation (un don de leur vie pour une cause juste) et qui sont devenus des héros. Mais qui est le Martyr dans l'Islam, un héros (combattant) ou une victime ? Ce mot n'existe même pas dans le Coran en tant que tel, qu'en pensez-vous ?

Christian Bromberger, professeur émérite, dit que le mot « Martyr » signifie originellement « témoin » en grec, langue des évangiles chrétiens, et en arabe, langue de l'Islam (martus, shahid). Le Martyr, c'est celui qui a témoigné de sa foi, a refusé de l'abjurer, et qui, pour ne pas avoir renié sa croyance, a été mis à mort. Dans le christianisme et l'islam, chiite surtout, il y a une exaltation et un culte des martyrs excepté dans le judaïsme.

Mohamed Bajrafil :

Le mot Martyr n'existe pas dans le Coran, il existe sans exister...Le terme Shahîd, ici, est attribué à Dieu pour signifier qu'il est présent et conscient. Un exemple, dans le chapitre des Prophètes, à la dernière page du Coran, Jésus fils de Marie soutient bien qu'il n'a rien dit d'autre que d'adorer Dieu plutôt que lui et sa mère, Sourate 5, 117 « Je ne leur ai dit que ce Tu m'avais commandé, (à savoir) : "Adorez Allah, mon Seigneur et votre Seigneur". Et je fus témoin contre eux aussi longtemps que je fus parmi eux. Puis quand Tu m'as rappelé, c'est Toi qui fus leur observateur attentif. Et Tu es témoin de toute chose. » Shuhadâ, pluriel de Shahîd, existe aussi dans le Coran pour signifier, entre autres, des personnes par leur présence d'esprit, comme les compagnons du Prophète. Par contre, on y trouve bien différentes interprétations. Des exégètes et d'autres y verront un sens de Martyr, comme vous l'entendez dans votre définition première, dans certains passages du Coran.

David Cook, professeur émérite sur l'islam souligne que la mémoire martyrologique musulmane la plus commune dérive des récits des premières batailles contre les mecquois païens, entre 622 et 632. La seule allusion non ambiguë au martyre dans le Coran (avec le terme de shahîd, pluriel shuhadâ’) se trouve dans la sourate de la Famille de ‘Imran :

« Si une blessure vous atteint, une même blessure atteint le peuple incrédule. Nous faisons alterner ces journées-là pour les hommes afin que Dieu reconnaisse ceux qui croient, et qu’il prenne des témoins (shuhadâ’) parmi vous » (3,140)

Avec donc la notion d'un petit Djihad ?

C'est une défense de ses convictions religieuses, ni plus ni moins qu'une liberté d'expression « Je me bats quand on m'empêche de défendre mes idées. » C'est la liberté de croire ou de ne pas croire. Malheureusement, beaucoup de personnes pensent que l'Islam incite les gens à devenir Martyr, on le devient seulement car on n'a pas le choix, c'est le combat offensif. De plus, pour le musulman, mourir en Martyr, n'est pas la meilleure des fins en soi. Il doit aspirer à cultiver sa foi et à nourrir son esprit de manière intellectuelle, en vivant longtemps. Le « Shahîd », dans tous les sens du terme, ne convoite pas la notion de guerre et encore moins pour y devenir Martyr. Dans le Coran, il est dit qu'on vous a prescrit le combat mais que c'est quelque chose qui est à l’encontre du musulman, de tuer ou se faire tuer.

Le Martyr doit-il résister dans sa lutte, au péril de sa vie ?

En droit musulman, la notion de guerre, c'est l'autorisation d'un combat de l'auto-défense (Djihad) pour ceux qui ont été des victimes d'injustice. Et cette injustice peut toucher tant le matériel que la psychologie, la pensée humaine. D'ailleurs, on distingue deux types de Martyr, celui d'ici et celui de l’au-delà. Le premier, c'est celui qui meurt au combat pour Dieu au nom de sa patrie, par exemple, d'une faction mais non musulmane. Par conséquent, on n'aura pas le droit de le laver et d'invoquer des prières sur lui, il sera inhumé tel quel, baigné de son sang voire dans son corps détérioré. Il est important de souligner ici que le combattant est Shahîd sous au moins deux formes de témoignage : Dieu et le Prophète ont témoigné qu'il irait au Paradis, et qu'il est témoin, à sa mort, de la vision de ce Paradis.

Note du cours « A ceux qui, combattant dans le chemin d'Allah, sont tués ou sont vainqueurs, nous donnerons une rétribution immense », dit la sourate 4, 76/74 du Coran (traduction Blanchère)

Mohamed Bajrafil : Pour le Martyr de l'au-delà : il y a, au moins, huit types de Martyr, par exemple : celui qui meurt par un chagrin d'amour, celui qui cherche le savoir, celui qui a une maladie incurable ou qui meurt brûlé, celui qui meurt noyé et même pour une femme qui meurt à cause de son divorce, pour une femme qui meurt en couche, violée, ou assassinée. A la différence du Martyr d'ici, ils vont être lavés d'une toilette mortuaire et célébrés en prières.

Note du cours : D'autres fidèles peuvent recevoir le titre de martyr : ceux qui sont décédés alors qu'ils effectuaient un acte méritoire, un pèlerinage par exemple, les guerriers dont la mort n'est pas la conséquence immédiate de leurs blessures, les croyants qui sont morts de mort naturelle après avoir mené une existence vertueuse... Ce sont les shuhadâ' al âkhira, les « martyrs de l'autre monde » (Kohlberg, 1996, p. 211), mais qui ne jouissent pas de la même Aura que ceux qui ont associés djihâd et martyr.

En islam, contrairement aux autres défunts, les « martyrs du champ de bataille » (Shuhadâ' al-ma'raka) peuvent être inhumés, sans avoir été lavés préalablement, dans leurs vêtements couverts de sang. Selon certaines écoles juridiques, il est inutile de dire des prières pour leur salut, « Le martyr étant purifié de tout péché, il n'a besoin d'aucune intercession » ( Kohlberg, 1996, p.210)

David Cook, professeur émérite sur l'islam dit que les idées sur le martyre dans l’Islam sunnite remontent pour la plupart à la période des grandes conquêtes islamiques (634-740) ou peut-être au siècle suivant. Il est difficile de repérer des définitions de martyre aussi bien dans l’Islam sunnite que dans l’Islam chiite. Une tradition importante rapportée dans le recueil autorisé de al-Bukhârî (m. 875) dit : « Le Messager de Dieu [Muhammad] dit : ‘Le Dieu Très-Haut a établi la récompense [du martyr] selon son intention. Quelles sont les circonstances du martyr ?’ Ils répondirent : ‘Mourir dans le chemin de Dieu [djihad]’. Le Messager de Dieu répliqua : ‘Il y a sept autres catégories de martyres outre ceux qui meurent sur le chemin de Dieu. Qui meurt de douleurs à l’estomac est un martyr, qui se noie est un martyr, qui meurt de la peste est un martyr, qui meurt de pleurésie est un martyr, qui meurt dans l’écroulement d’un édifice est un martyr, qui meurt dans un incendie est un martyr, la femme qui meurt durant l’accouchement est une martyre’ »

Cette tradition semble dilater considérablement le concept de martyr, bien au-delà du simple combat. Al-Suyûtî (m. 1505), dans une de ses œuvres, dresse une liste de plus de cinquante circonstances différentes qui confèrent à quelqu’un la qualité de martyr. Cette catégorisation étendue du martyre ne semble pas avoir eu un impact important au niveau de la perception, mais elle met en lumière la difficulté à définir ce qui constitue exactement le martyre.

Le Martyr est donc bien absous de ses pêchés en ayant la miséricorde de Dieu comme le dit Kohlberg ?

Il est absous de ses pêchés sauf de ceux qu'il a commis sur des humains comme lui, il aura des comptes à rendre mais une grande récompense lui est réservée au Paradis. Le Coran dit « Ne crois surtout pas que ceux qui sont tués dans le chemin de Dieu sont morts. Ils sont vivants ! Ils seront pourvus de biens auprès de leur Seigneur, ils seront heureux de la grâce que Dieu leur a accordée. Ils se réjouissent parce qu’ils savent que ceux qui viendront après eux et qui ne les ont pas encore rejoints n’éprouveront plus aucune crainte et qu’ils ne seront pas affligés » (3,169-170)

Des biens, des grâces comme soixante-douze vierges que l'on appelle « houris » (femmes semblables à des raisins blancs) ?

Pas seulement, cette idée est galvaudée, les gens en ont fait des stéréotypes. Je l'explique, ce sont des traditions prophétiques qui viennent de la Sunna, des hadiths comme le nombre des houris évoqué. Déjà, dans les exégèses, différentes les unes des autres, le terme « houri » fait polémique sur sa signification, il en existe plusieurs, et puis ce n'est pas la récompense suprême...

Que nous dit-on de ce Paradis du Martyr ? (Dans l'Islam, le Paradis comporte huit portes.)

Des tas de choses qu'aucun œil n'a vues, qu'aucune oreille n'a entendues et qu’aucun esprit n’imagine. Au-delà des tergiversations, il y a des récompenses divines de toute nature comme la promesse d'une vie heureuse et comblée et surtout celle de voir son Dieu. On dit aussi que le Martyr pourra emmener avec lui soixante-dix personnes de sa famille (vivantes ou mortes) sans contester leurs faits et gestes, encore une des exégèses...Celui d'être épargné de la peine de la tombe, d'aller directement au Paradis sans souffrir, le jour de jugement, il a une couronne sur la tête en signe de royauté, il a la sécurité, la protection...

Et pour la femme Martyr et femme de Martyr ?

Elles auront les mêmes privilèges, ce que Dieu leur aura choisi de meilleurs.

Note du cours : Christian Bromberger (Dictionnaire de la Méditerranée), Actes Sud, 2016, il souligne que le Martyr est ainsi préservé du tourment du tombeau et du purgatoire ; il épousera 72 houris. Il mentionne bien que le martyr possède un statut particulier.

David Cook, professeur émérite sur l'islam dit que la tradition la plus importante à ce propos se trouve dans un autre des six recueils canoniques, celui de al-Tirmidhî (m. 910), qui dit :

« À la vue de Dieu, le martyr a six qualités [uniques] : Dieu le pardonne à la première occasion, il lui montre sa place au paradis, il le préserve du tourment de la tombe, il le garde de la grande terreur [de la Résurrection], une couronne d’honneur est posée sur la tête – couronne ornée d’un rubis le plus beau du monde et de tout ce que le monde contient –, il a pour épouses soixante-douze houris [femmes du paradis] et gagne le droit d’intercéder pour soixante-dix personnes de sa famille »

À voir ces récompenses, il est facile de comprendre les raisons pour lesquelles les musulmans ont désiré atteindre le rang de martyr. Les récompenses qui attirent le plus l’attention généralement sont les deux dernières – le mariage avec les vierges, ou femmes du paradis, et l’intercession pour sa propre parenté (le nombre 70 devrait avoir le sens d’une « quantité considérable »). Bien que la pratique de l’intercession soit problématique tant pour l’Islam sunnite que pour l’Islam chiite, parce qu’elle permet à la personne qui en bénéficie d’éviter d’être punie pour ses propres péchés, le concept en a toujours été populaire.

Et pour vous, qu'attendez-vous du Paradis ?

Je vais vous citer les mots d'une grande mystique du Soufisme, Rabia Al Adawiyya : « Mon Dieu, si je T’adore par crainte de Ton Enfer, brûle-moi dans ses flammes, et si je T’adore par crainte de Ton Paradis, prive m’en. Je ne T’adore, Seigneur, que pour Toi. Car Tu mérites l’adoration. Alors ne me refuse pas la contemplation de Ta Face majestueuse ». A méditer...

RABIA AL ADAWIYYA

Quelle figure emblématique est décrétée Martyr ?

Plusieurs, mais j'ai envie de vous dire le fis du prophète Zacharie (Zakariyyah), Jean-Baptiste (Yahyâ) décapité sans vergogne. En quelques mots, le Prophète Yahya reprocha à Hérode son mariage illégitime avec Hérodiade, la femme de son frère. Celui-ci n’appréciant pas la critique, fit arrêter Yahya et le jeta en prison. La maîtresse d’Hérode tenta d’obtenir la mort du prisonnier, ce qu’Hérode refusa. Elle y parvint toutefois lors d’un festin, donné pour l’anniversaire d’Hérode mais à la vue de cet horrible spectacle, son cœur l'abandonna et elle s'écroula au sol. Yahyâ croyait aux messages de Jésus (Issa), il était proche de la nature, juste et intègre. Je vous invite à lire son histoire dans l'islam.

Quel est le premier Martyr dans l'Islam ?

Au tout début de l’Islam, au temps du Prophète, il y a une femme, Soumaya, elle a été sauvagement mutilée de ses parties sexuelles pour avoir admis ses convictions religieuses. Et en ne reniant pas sa foi, son bourreau fut appelé « le Père de l'Ignorance ». Cette figure du Martyr n'est pas dans le Coran.

Cela aurait pu être celui qui est mort à la place de Jésus, qui, lui, est dans le Coran ?

Dans le Coran, Jésus n'est pas mort, par contre, un débat subsiste toujours parmi les théologiens musulmans sur ses derniers jours de présence sur Terre. De plus, il n’y a aucun détail donné sur la personne laissée pour morte à sa place. Mais évidemment, dans les hadiths, vous aurez d'autres interprétations sur son identité.

A propos de Jésus, il est concrètement Martyr dans le christianisme, mort en Sauveur pour la rémission des péchés des hommes et ressuscité, quel est votre point de vue ?

Dans l’Islam, il y a un texte prophétique qui dit « Sois l'enfant d'Adam tué et ne sois pas l'enfant d'Adam assassin. » Je verrai plus la notion de Martyr comme nous l'avons évoqué que du Sauveur.

David Cook, professeur émérite sur l'islam souligne que le Coran n’attribue à ces premiers « martyrs » aucun titre spécifique (même mustad‘af, « opprimés », est le produit de révélations successives comme 8,26, ou peut-être d’allusions indirectes comme 28,5), et l’on ne peut pas dire que leur expérience historique ait pris une valeur normative pour l’Islam.

Note du cours : Christian Bromberger (Dictionnaire de la Méditerranée), Actes Sud, 2016, souligne que la valorisation et « l'inflation apologétique du martyre », selon l'expression d'André Mandouze, sont le désir même du martyre chez les premiers chrétiens, procèdent d'une identification au martyr par excellence que fut le Christ sauveur, ayant sacrifié sa vie pour le rachat des péchés. Une valorisation similaire du martyre caractérise l'islam chiite où le 3e imam, Hoseyn, a été massacré avec les membres de sa famille à Kerbala par les troupes du calife omeyyade Yazid. (cf. en haut du devoir) Avant son supplice, Hoseyn aurait proclamé, selon la tradition chiite : « Voici que ce poignard va s'abattre sur ma tête. Oh ! J'en suis content ! O mon Dieu ! Ne manque pas de tenir toi aussi l'engagement que tu as pris. Au jour de la résurrection, pardonne à tous les hommes pécheurs , à tous les chiites car je les rachète au prix de mon sang. »

Pourquoi le sang du Martyr est-il pur ? A contrario du sang du musulman  ?

Le Martyr a du sang pur (tâhir), c'est tout. Il y a deux considérations d'impureté à prendre en compte : physiques et métaphysiques dans le sens abstrait. Par exemple, si un homme et une femme se touchent après les ablutions, ils devront recommencer leur toilette. Il y a beaucoup d’Ecoles en matières de ce que l'on tolère ou pas. Autre exemple, le chien n'est pas impur pour certaines Ecoles musulmanes comme le Malékisme mais il le sera pour d'autres. A l'exception du Martyr, plus il y aura de sang sur le musulman, plus le sang sera impur (najjis) mais pour une coupure qui ne ferait apparaître qu’une goutte de sang, la question ne se pose pas. Pour y revenir, vous tuez un moustique sur vous, le droit musulman ne vous dit pas de vous laver. C'est la quantité de sang qui détermine la notion de pureté chez le musulman sauf pour les wahhabites, et ce n'est pas illicite de donner son sang. Savez-vous que l'on dit aussi que le sang du Martyr sent le musc ? Comme un parfum de Paradis énoncé, encore une fois, dans les exégèses.

Note du cours :

  • L'impureté exotérique (zahir) : le sale

  • L'impureté ésotérique (bâton) : le mal

Et faire un don d'organes ?

Il y a une fatwa qui dit notamment que les dons d’organes sont interdits mais il faut bien comprendre qu'une fatwa n'oblige aucun musulman à l'appliquer car une fatwa, c'est un avis religieux, elle n'est pas coercitive et chacun est libre d'agir comme il veut.

Par exemple ? Y a-t-il une fatwa au sujet du Martyr ?

Le Malékisme fondé par l'imam Malik qui est mort en 179 de l'Hégire, avait, quinze avant cela, en 164, un disciple appelé Ach-Châfi`. Ce disciple a fréquenté son Ecole, il y a puisé sa source mais après la mort de l'imam, il va changer sa pensée, abroger les trois quarts de son idéologie. Pourquoi ? Parce qu'il suit son instinct et qu'il vit avec son temps. C’est pour vous dire qu'il n'y pas de fatwa écrite sur cette notion du Martyr parce qu’on l'est sans choix.

Samir Khalil Samir, Jésuite, docteur en Théologie orientale et Islamologie expose que le cheikh Ahmad Abu Yussuf, a émis une fatwa affirmant que même le malade du SIDA devait être considéré comme un martyr. Il justifiait cela par le hadith bien connu : « Quiconque meurt d'un mal de ventre (mabtûn) est un martyr ». Il ajouta que 90 % de ceux qui meurent du SIDA « reviennent à Dieu à la fin de leur vie ».

L'opinion commune aujourd'hui veut que les suicides volontaires soient des actes de martyre. Voici, à titre d'exemple, la fatwa prononcée par l'Association des Ulémas de Palestine, qui porte le titre de : « Les opérations de mort volontaire (istishhâdiyya) sont parmi les formes les plus belles du jihâd sur la voie de Dieu ». Ils établissent cette opinion à partir de trois versets Coraniques, de plusieurs hadiths et des témoignages unanimes (ijmâ') des savants du Moyen-Age (Abû Ayyûb al-Ansârî, Abû Mûsâ al-Ash'arî, 'Umar Ibn al-Khattâb, Ibn Taymiyya, al-Ghazâlî, al-Nawawî) et de l'époque contemporaine, notamment du Dr Yûsuf al-Qaradâwî et du cheikh al-Shu'aybî. Après quoi, ils réfutent les arguments des contemporains qui refusent de considérer ces acteurs comme des martyrs, en particulier celui du cheikh 'Abd al-'Azîz Âl Shayk, le mufti d'Arabie Saoudite qui a émis une fatwa au sujet de ces opérations disant : « Je ne leur connais pas de légitimation juridique et je ne les considère pas comme un jihâd sur la voie de Dieu. Je crains qu'elles ne soient de simples opérations suicidaires ». Ou encore la fatwa du Recteur d'al-Azhar, le cheikh Muhammad Sayyid al-Tantawî, qui a déclaré : « Les opérations suicidaires (intihariyya) sont martyre si elles sont dirigées contre des soldats, non contre des enfants et des femmes ». Une longue argumentation, basée sur l'opinion de nombreux oulémas, réfute ces deux opinions.

Et pourtant Martyr qui veut ? Comme les auteurs  d’attentats suicides (de kamikisation) qui se disent  musulmans en plus ?

Ils ne sont pas Shahîd et ce n'est pas l'Islam. Ce sont eux qui nous causent du tort et qui tuent des innocents. Dans le droit musulman, il est dit que vous n'avez le droit de vous en prendre qu’à quelqu’un qui a levé le glaive sur vous.

Des musulmans (dans le chemin d’Allah) qui s'entretuent dans une guerre pour différentes raisons : ethniques, politiques, qui considère-t-on Martyr ?

Dans un propos du Prophète (hadiths), deux croyants musulmans qui se font la guerre par leur épée, l’assassin et l’assassiné vont en enfer.

L'assassiné aussi ?

Le Prophète a dit que l'assassiné avait de mauvaises intentions celle d’ôter la vie de son adversaire, l'enfer lui est dû.

Note du cours : Christian Bromberger (Dictionnaire de la Méditerranée), Actes Sud, 2016, dit bien que le martyrisme peut ainsi avoir un puissant effet mobilisateur (allant jusqu'aux « attentats suicides » dans les conflits contemporains, y compris en dehors des courants religieux qui l'ont le plus exalté, comme le chiisme. Alors que le suicide, effectué pour des raisons personnelles, est condamnée par l’islam, des théologiens, tel le mufti égyptien al-Qaradhâwi, considèrent licite ce sacrifice pour sa religion et sa communauté.

David Cook, professeur émérite sur l'islam se pose la question de savoir s'il est permis de se suicider ? Il répond que les fatwas ou avis juridiques touchant les opérations de martyre sont intéressantes parce qu’elles offrent la justification juridique et islamique de cette tactique. Elles sont en elles-mêmes problématiques parce que le fait de citer une fatwa ou de noter combien de gens la lisent ou la prennent sur Internet n’indique pas nécessairement le nombre de personnes qui se sentent liées par elles. En général, une fatwa est contraignante pour la personne qui l’a demandée et pour ceux qui considèrent celui qui la prononce comme une personnalité de grand prestige spirituel. Ce qui tend, en pratique, à éclipser un certain nombre de fatwas dont les auteurs sont insignifiants et dont les partisans sont réduits au minimum, et à faire des oulémas les plus connus ou d’autres leaders religieux non traditionnels et politisés de véritables vedettes.

Quelle est votre définition du Martyr ?

Le Martyr du Savoir, le Martyr de l'Amour. Mourir d'amour et du savoir c'est la meilleure des morts.

Votre réaction sur l'idée reçue du Musulman égale Martyr, Martyr égale terroriste ?

Dans l'Islam, le mécréant c'est celui qui a connu la Vérité et qui a refusé de la reconnaître et tant que la substance n'a pas été conscientisée il n'existe de mécréant. Et malheureusement, l'amalgame est de taille, dans la tête des gens, ils s'imaginent que tous les musulmans sont tous des mécréants et qu’ils s'adonnent au Djihad pour être Martyrs. Ces musulmans qui font la guerre au nom de l'Islam, en ont fait seulement une interprétation, une appropriation erronée et exacerbée du Coran. Leur conscience reste ipso facto des réalités qui sont les leurs au moment où celles-ci se vivent, celui qui va lire le Coran avec un substrat guerrier, ne verra point d'amour et tuera.

Ces guerriers vendent cette notion de Martyr loué par Dieu par un endoctrinement, par un prosélytisme ? Qu'en dites-vous ?

Le prosélytisme, il faut le voir de deux manières, la première est quand « je pense que vous avez tort et que j'ai raison, et par amour, je vais vous dire ma vérité. » Et la seconde, est de chercher à embrigader la personne en relevant d'un dogmatisme politico-guerrier plutôt que d'une Foi. N'oublions pas, un des faits marquants de l'histoire comme les Pères Blancs, qu'ont-ils fait ? Ils ont été missionnés pour prêcher la bonne parole, leur évangélisation a permis la colonisation...

Quelle est votre conclusion sur ce thème ?

Un poème du Martyre de l'amour :

Les amoureux ont suffisamment soufferts de leur Amour ici,

Par Dieu, ils ne pourront être punis car ils ont été victimes du feu l'Amour,

Ils ont goutés à ce feu et ils ne pourront pas être brulés par le feu de l’au-delà,

L'Eden sera leur demeure brillante et scintillante pour avoir aimé sans le dire,

Je finirai en vous disant que l''Islam est tellement riche que le profane l'a réduite à un seul message : une religion de sang. Des études ont pourtant montré que la tradition arabe n’est pas une tradition guerrière, il n'y aucune fierté à prôner la notion de Martyr. Du vivant du Prophète, avant et après l'Hégire, on dénombre seulement environ 1000 victimes de guerres et de civils et pas des milliers comme prétendu. A partir de l'an 40, après l'Hégire, (le califat va durer 30 ans) le Calife Mu'awiya 1er et roi des Omeyyades prend le pouvoir et commence vraiment la conquête Arabo-islamique.

Merci à l'Imam d'Ivry sur Seine, Cheik Mohamed Bajrafil pour sa participation.

En conclusion :

En Islam, certains hadiths présentent aussi les martyrs sacralisés, comme les intercesseurs entre les pêcheurs et Allah. Par ailleurs, ces saints martyrs, par les vertus dont ils ont fait preuve, par leur perfection morale, sont des exemples que l'on doit s'efforcer de suivre. Mais le paradoxe n’est-il pas que ces exemples que l'on est invité à suivre sont surhumains et quasi inaccessibles ? Se pose Christian Bromberger comme question. On a bien vu que dans la commémoration de certains martyrs fondateurs, dans le christianisme comme en islam chiite, donne lieu à des rituels notamment la célébration de la mort violente de Hoseyn, qui n'est pas sans rappeler ce que la spiritualité et la théologie chrétiennes attribuent à la mort du Christ. Pour David Cook, professeur émérite sur l'islam, la notion de martyr est beaucoup plus centrale dans le chiisme, il est vrai aussi qu’elle concerne en priorité la famille du Prophète Muhammad et certains de ses tout premiers partisans, plutôt que les chiites communs morts d’une mort héroïque pour leurs croyances. Dans une certaine mesure cela a changé avec l’introduction d’une forme plus activiste de martyre, surtout en Iran au cours de la guerre Iran-Irak (1980-1988) et parmi les chiites libanais du sud (Hezbollah) dans la lutte contre Israël (1983-2000).

Le point de vue musulman sur le phénomène du martyre semble assez peu clair sur le plan juridique. Il semble bien que les motifs politiques y jouent aussi un rôle important : soit pour soutenir le caractère licite des attentats suicides, soit pour le rejeter, comme c'est le cas des autorités officielles d'Egypte et d'Arabie Saoudite. Il y aussi le rôle de la médiatisation (un point qui mériterait d'être développé).

Samir Khalil Samir, Jésuite, docteur en Théologie orientale et Islamologie dit en définitif sur le Martyr moderne de l'Islam que nous avons affaire à deux visions assez différentes de l'amour pour Dieu : une vision où le musulman témoigne de l'amour pour Dieu en combattant jusqu'au sacrifice de soi pour Son Nom ; et une autre où le musulman témoigne de cet amour en renonçant à toute violence pour chasser haine et attaque de ce monde.

Il appartient à chacun de faire son choix comme le dit de manière très philosophique, l’imam d’Ivry sur Seine, Mohamed Bajrafil « c'est l'infidélité dans la fidélité. »

L.A.D.

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